France – Programme de stabilité, un manque de crédibilité et de cohérence, ainsi que des défis

France – Programme de stabilité, un manque de crédibilité et de cohérence, ainsi que des défis

Lire l'article

Le programme de stabilité pour les années 2024 à 2027 a été présenté en Conseil des ministres et publié mercredi 17 avril. Les prévisions de croissance du gouvernement sont révisées à la baisse par rapport au projet de loi de finances (PLF) de l'automne dernier. Ses prévisions de déficit et de dette publics sont revues à la hausse, ce qui est également lié aux chiffres décevants publiés entre temps pour 2023 (1). Pour autant, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) juge que la trajectoire du gouvernement "manque de crédibilité" et "de cohérence". Le gouvernement semble, en effet, tabler à la fois sur une croissance forte et des économies budgétaires supplémentaires (encore mal documentées pour les années 2025 et au-delà), ce qui semble a priori contradictoire. L'effet récessif de l'orientation budgétaire dépendra effectivement des origines précises des économies, mais il devrait être non négligeable. L'impact est notamment estimé par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) à -0,6 point de PIB en 2025 pour l'ajustement budgétaire supplémentaire prévu de 20 milliards d'euros.

Dans le détail, le programme de stabilité prévoit une croissance qui augmenterait sur l'horizon de prévisions, de 1,0% en 2024 à 1,8% en 2027. Malgré une révision à la baisse de ces prévisions par rapport à l'automne dernier, celles-ci restent dans la fourchette haute des prévisionnistes. En particulier, la prévision de consommation des ménages apparaît particulièrement optimiste (+1,6% en 2024 et 2025, et jusqu'à +2,2% en 2027), alors que la confiance des ménages reste dégradée et l'incertitude élevée.

Du côté des finances publiques, le gouvernement prévoit une amélioration progressive du déficit des administrations publiques, de 5,1% du PIB en 2024 à 2,9% en 2027. Malgré des révisions à la hausse du déficit public par rapport à l'automne, il est donc toujours prévu que celui-ci passe sous les 3% du PIB à horizon 2027, ce qui paraît particulièrement ambitieux. L'effort prévu entre 2025 et 2027 semble ardu, et les mesures sous-jacentes qui s'appuieront sur les exercices de revues de dépenses en cours ne seront détaillées que plus tard dans les textes financiers. Le document précise toutefois que cet effort portera « prioritairement sur les dépenses et sera partagé par l'ensemble des secteurs des administrations publiques ».

Le ratio de dette publique augmenterait pour sa part cette année et la suivante, atteignant 113,1% en 2025, en lien notamment avec le ralentissement du PIB nominal dû à la désinflation. La dette publique diminuerait ensuite pour s'établir à 112% du PIB en 2027, un niveau évidemment très éloigné du seuil de Maastricht de 60%, et en hausse par rapport à 2023.

L'avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), organisme chargé d'évaluer le réalisme des prévisions gouvernementales, rendu le 16 avril, est assez cinglant. Il juge tout d'abord que la prévision gouvernementale manque « de crédibilité », supposant un effort en dépenses jamais vu par le passé et dont la documentation reste à ce stade minime, et qui se traduirait pourtant par une divergence accrue avec le reste de la zone euro. Cet effort budgétaire supposerait par ailleurs coordination et adhésion de l'ensemble des administrations publiques, ce qui est difficile à imaginer. Le HCFP considère également que cette prévision « manque de cohérence », car l'ampleur de l'effort budgétaire prévu implique un effet baissier sur l'activité économique, or les prévisions de croissance du gouvernement paraissent particulièrement élevées. Il estime notamment que la prévision de PIB potentiel (2) du gouvernement est surévaluée, avec un risque de révision à la baisse à l'avenir, et donc de révision à la hausse du déficit budgétaire structurel (3). Le HCFP invite le gouvernement à mettre en cohérence son scénario, ce qui veut concrètement dire choisir entre croissance et restriction budgétaire.

Concernant l'ajustement budgétaire, favoriser une réduction des dépenses publiques plutôt qu'une hausse des impôts, l'orientation qui a la faveur du gouvernement, est aussi celle préconisée par l'économiste Gilbert Cette. Empiriquement, l'effet récessif sur l'activité serait en effet moindre dans le premier cas, bien que la théorie économique de base prône l'inverse (elle suggère que le supplément de revenu qui part dans l'impôt dans le second cas n'aurait de toute façon pas été totalement consommé, avec un effet donc plus faible sur l'activité). Dans certains cas empiriques, la baisse des dépenses publiques aurait même un effet très limité – voire positif – sur l'activité, du fait d'effets ricardiens (les ménages sont rassurés sur la trajectoire des finances publiques et génèrent une moindre épargne de précaution pour se prémunir des conséquences futures de la dérive des finances publiques). À noter toutefois que ces résultats ne portent pas sur la France. Le niveau élevé des prélèvements obligatoires en France en comparaison internationale (voir notamment Fipeco) limite de toute façon les marges de manœuvre sur l'impôt. Sur le volet des économies en dépenses, les collectivités locales pourraient en particulier être mises à contribution, alors que leurs effectifs ont bondi sur la période récente (voir encore Fipeco). Si l'économiste n'est pas en faveur d'une hausse des impôts, il envisage toutefois de supprimer certaines niches fiscales, ce qui aurait par ailleurs des effets redistributifs (les ménages les plus fortunés en bénéficiant davantage). Des évidences émergent toutefois : le rétablissement des comptes publics fera des mécontents, et c'est toujours un défi que de faire passer des réformes en France. Parlons peu, parlons bien : le gouvernement a donc du pain sur la planche.
 

Notre opinion

La prévision de croissance du programme de stabilité est supérieure de 0,1 point à notre prévision en 2024 et 2025, la nôtre précédant pourtant l'intégration effective d'un ajustement budgétaire plus important comme dessiné dans le programme de stabilité, avec donc un effet à la baisse sur la croissance. Notre prévision de croissance pour 2025 (1,3%) pourrait ainsi être abaissée dans notre prochain scénario trimestriel pour prendre en compte l'impact de la restriction budgétaire annoncée. Pour 2024, la première estimation de la croissance du premier trimestre 2024, publiée cette semaine, nous éclairera sur le réalisme des prévisions. Ainsi, dans le cas d'une croissance moindre que celle que nous anticipons (+0,2% t/t au T1), ce qui est possible, notre prévision de croissance pour 2024 (+0,9%) sera elle aussi abaissée.

Bien que le moteur de la croissance dans les deux années à venir soit dans notre prévision comme dans celle du gouvernement la consommation des ménages, la prévision du programme de stabilité excède la nôtre de l'ordre de +0,3 point en 2024 et +0,2 point en 2025, alors même que notre prévision se veut raisonnablement optimiste. Là encore, les chiffres des comptes nationaux trimestriels de cette semaine devraient confirmer ou infirmer cette orientation.

Article publié le 26 avril 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

(1) Voir notamment notre article « Dérapage des finances publiques en France, une incidence à long terme » du 5 avril.
(2) Le PIB potentiel correspond au niveau de PIB atteignable, une fois les chocs temporaires subis par l'économie éliminés, de manière durable, c'est-à-dire avec des facteurs de production à leur niveau d'équilibre (sans tensions sur les prix).
(3) Le déficit budgétaire structurel correspond au déficit budgétaire qui serait constaté si le PIB était à son niveau potentiel.

France – Programme de stabilité, un manque de crédibilité et de cohérence, ainsi que des défis

La prévision de croissance du programme de stabilité est supérieure de 0,1 point à notre prévision en 2024 et 2025, la nôtre précédant pourtant l'intégration effective d'un ajustement budgétaire plus important comme dessiné dans le programme de stabilité, avec donc un effet à la baisse sur la croissance. Notre prévision de croissance pour 2025 (1,3%) pourrait ainsi être abaissée dans notre prochain scénario trimestriel pour prendre en compte l'impact de la restriction budgétaire annoncée. Pour 2024, la première estimation de la croissance du premier trimestre 2024, publiée cette semaine, nous éclairera sur le réalisme des prévisions. Ainsi, dans le cas d'une croissance moindre que celle que nous anticipons (+0,2% t/t au T1), ce qui est possible, notre prévision de croissance pour 2024 (+0,9%) sera elle aussi abaissée.

Marianne PICARD, Economiste - France, Belgique et Luxembourg